Le mois de l'arbre, la mort des forêts

Luc Fournier
Auteur des Dernières Forêts d'arbres libres (Lanctôt Éditeur, 2006)

Édition du mardi 30 mai 2006

Le mois de mai est, au Québec, le mois consacré à la plantation des arbres en tenant compte d'une (bio) diversité autre que les monocultures d'épinettes et de pins chères à l'industrie forestière qui domine nos forêts publiques. Petit arbre après petit arbre mis en terre, nous avons tout ce mois printanier pour nous rappeler que la vie est faite d'altérités, de diversités; et le reste de l'année pour oublier qu'une plantation est d'abord une forêt artificielle désertée de sa vraie nature botanique.

Qu'en est-il maintenant, après le rapport Coulombe sur l'avenir de la forêt publique et privée, de certaines pratiques pernicieuses des industries forestières ?

Smurfit-Stone, une multinationale américaine, veut arroser par avion ses forêts privées au nord de La Tuque, avec du glyphosate --un phytocide (défolient) commercialisé par Monsanto, un produit équivalent au RoundUp en agriculture industrielle. Tout cela pour tuer la végétation feuillue, favoriser uniquement la croissance des résineux nécessaires aux usines à papier surproductrices.

Les cours d'eau ne seront pas contaminés (ni les animaux...), prétendent les ingénieurs forestiers de la compagnie. Le BAPE produira cet été son rapport à la suite des audiences publiques dans ce dossier. Ces arrosages chimiques sont déjà acceptés sur de «petites» parcelles forestières, mais la compagnie veut agrandir de cette manière ses superficies exploitables... faute de main-d'oeuvre pour le faire mécaniquement.

Les compagnies forestières sont les seules à avoir les capitaux pour acheter de grandes propriétés foncières et elles ont toujours investi dans ce domaine une partie de leurs profits considérables, du moins ceux que les actionnaires n'avalent pas. Si cette multinationale a gain de cause avec ces méthodes de travail malpropres, c'est sûrement la porte ouverte à un plus grand empoisonnement de nos écosystèmes forestiers par tout ce même monde «écocidaire».

Quel pouvoir citoyen avons-nous ? Comment répondre à ce pitoyable «drame» ? Toutes ces compagnies sont «payées» pour détruire nos forêts alors que nous, nous ne sommes pas payés pour les protéger... [...]

Pendant ce temps, au Brésil

Au Brésil, 2000 femmes membres du syndicat Via Campesina ont détruit le 8 mars dernier, en quelques minutes et devant des journalistes, les pépinières d'eucalyptus et le laboratoire de recherche génétique d'une multinationale scandinave, copropriétaire de la plus grande usine de cellulose du monde. Ces monocultures occupent maintenant là-bas de gigantesques superficies «volées» aux forêts primitives et à leurs habitants premiers. [...]

Ces plantations d'arbres exotiques, venant d'autres climats mais à profits rapides en climat tropical, exigent dans leur gestion une grande quantité de produits chimiques dangereux pour les travailleurs. Grandes buveuses d'eau, elles assèchent les sols et empêchent la croissance des autres plantes. Après deux ou trois récoltes les sols sont épuisés, finie la vie ! Ces monocultures demandent une grande concentration de la propriété de la terre, propice à l'uniformisation biologique et au travail esclave. Ces femmes brésiliennes, par leur «désobéissance civile», m'ont appris à aller au-delà de la peur et de la destruction.

Et près de Rimouski...

À l'émission La Semaine verte récemment, un reportage nous montrait des débroussailleurs «obligés» de s'entraîner physiquement afin de mieux commencer une nouvelle saison de travail, sans le surplus de poids accumulé durant l'hiver. Ils travaillent au rendement (compétition avec soi-même !), sont vieillissants, essaient de manger mieux avec l'aide même d'une diététicienne... Le reportage ne faisait pas les liens entre le stress de productivité de ce travail, la compensation alimentaire, et les méthodes de gestion de cette foresterie industrielle qui n'est pas encore consciente qu'il faudrait travailler avec la biodiversité de la forêt.

Ai-je assez de compassion pour ces travailleurs perdus en forêt, à la relève problématique ? L'écrivain Louis Hamelin, dans son livre Sauvages, écrit : «[...] le travail de plein air le plus casse-cul de l'hémisphère nordique : débrouissailleur en forêt. Moyenne d'âge : autour de quarante-huit ans. Détresse psychologique peut-être pas obligatoire, mais ça aide. Dope, alcool, ibuprofène, tout est bon pour remplacer les feuilles de coca. Les meilleurs sont les Roumains, illégaux ou non, arrivés au pays entassés dans des conteneurs ou autrement.»

Conclusion provisoire

Le président du Conseil de l'industrie forestière, l'ex-ministre Guy Chevrette, dépassé par les événements «climatiques» de son industrie, a déclaré ce qui suit : «Qu'ils arrêtent de nous demander toutes sortes de maudites folies en CSST et en environnement !» (Le Devoir, mars 2006). Enfin, en avril, les journaux publiaient une publicité gouvernementale très attendue, annonçant des fonds pour le Plan de relance de l'industrie forestière.

Je ne connais pas tous les calculs ambitieux de cette mendiante comptabilité, mais presque un milliard de dollars sera donné pour sauver ce moribond industriel qui s'enrichit à même nos derniers arbres et nos deniers publics; et dans ce budget sont prévus 44 millions pour les chômeurs à recycler... Tant mieux si on fait un jour des produits forestiers vraiment durables avec tous ces arbres maigrichons, avec tous ces industriels profiteurs !

Je n'ai pas pour le moment d'opinion autre que celle-ci, dont j'ai déjà parlé dans mes livres sur les arbres : nous sommes en train de détruire nos forêts arbre après arbre. Et les arbres plantés ici et là ne font pas les forêts de l'avenir. Notre mode de vie industriel basé sur le pétrole agresse depuis longtemps les écosystèmes forestiers. [...] Quand donc arrêtera la domination économique sur les écosystèmes (et les êtres humains) dont dépend notre survie ?

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